Les artistes et la médiation culturelle

Quelques réflexions inspirées par la lecture des textes « ressource » publiés sur le site de l’agence « Etant Donné » par M. Alain Livache

http://www.etant-donne.com/pagesressources.htm

M’intéressant à tout ce qui parle d’art contemporain dans ma région, j’ai récemment exploré le site de l’Agence régionale de médiation culturelle et de sensibilisation à l’art contemporain Etant Donné, implantée à Annecy. Bien que sous son intitulé, elle prenne l’apparence d’une agence officielle, en réalité elle est une entreprise privée, prestataire de services. Monsieur Alain Livache, en est le directeur et propose ses services en tant que médiateur culturel aux  « éus – cadres territoriaux – responsables d’associations, de centres d’arts et de musées – dirigeants de structures culturelles, socioculturelles, sociales ou éducatives – chefs d’entreprises – enseignants  » afin de collaborer aux missions dont ils ont la charge.

Il y a environ deux ans, l’Agence Etant Donné a été chargée du recensement des artistes et des diffuseurs par l’Assemblée des Pays de Savoie (entité officielle regroupant les moyens des Conseils généraux respectifs des deux départements savoyards). Il est à noter que cette idée avait déjà été proposée sous une forme très différente par un artiste Haut-Savoyard (James Bayle), créateur de l’ex-Taninges Art Contemporain (manifestation très favorable aux artistes). Selon Monsieur Bayle, la proposition devait reposer sur le respect de la législation concernant le statut de l’artiste professionnel; dans la formule qu’il a rendue publique, Monsieur Livache en aurait adapté et déformé le contenu !

Monsieur Alain Livache, est commissaire dans diverses expositions en Haute-Savoie et se montre très actif dans de nombreuses manifestations et colloques concernant l’art contemporain (par ex. il intervient lors des prochains séminaires du Cipac: « Art contemporain et départements »,  les 14 et 15 mars 2006, en Dordogne).
Je vous livre ici quelques réflexions.

Qu’est-ce que l’art contemporain ?
Certes pas un mouvement au sens historique, pour ça il faudrait qu’il soit institutionnalisé comme le fut par exemple Dada. Que faut-il donc pour parler de mouvement au sens historique ? Le mouvement Dada était-il de l’art  contemporain ? Etait-ce un art élitiste ? Etait-ce même de l’art ? N’a-t-on pas institutionnalisé la farce pour éviter d’en être les dindons ?
L’art contemporain est aussi insaisissable que le temps auquel il se rapporte. Il s’inscrit dans une dynamique éphémère, c’est en cela qu’on ne peut ni l’enseigner, ni forcer quiconque à l’apprécier. C’est un art du présent, il est la passerelle furtive proposée entre l’inconscient du créateur et celui du spectateur, l’Å“uvre fait (ou ne fait pas) écho. En oubliant toute modestie, on pourrait prétendre qu’il y a un impact de l’ordre éducatif lorsque quelque chose se remet en jeu dans la psyché du spectateur au contact de
l’Å“uvre, ce qui est exceptionnel, voire miraculeux, mais possible. Il est particulièrement difficile d’évaluer la qualité de l’Å“uvre contemporaine, sur ce terrain les jugements hâtifs et péremptoires vont aussi bon train que les inévitables impostures. Qui peut juger ?

L’éducation artistique en tant que médiation sociale ?
Les textes « ressource » à disposition sur le site Etant Donné mettent en évidence un discours qui se veut humaniste et repose sur le postulat que ni les classes sociales défavorisées, ni les classes privilégiées n’apprécient l’art contemporain. Toutes les classes sociales se trouvant par conséquent dans une situation d’égalité pourraient alors évoluer ensemble dans ce terreau favorable au partage… Comme disait le clown de mon enfance : « Il n’y a pas de différence entre une tarte aux prunes et une tarte aux cerises, elles sont faites toutes les deux avec « pas de poires »». (voir le texte ressource N°2 dont je cite un passage :  «…Paradoxalement l’art contemporain installe une situation potentielle et inhabituelle de partage»)

Monsieur Livache affirme son identité de « professionnel de l’art contemporain » en tant que médiateur socioculturel, investi de la mission de transmettre cet art aux couches moins favorisées, abandonnant ainsi « …un objet culturel pauvre et sans intérêt aux élites décadentes… » (je cite).

Pour « insuffler » l’art contemporain aux jeunes, Monsieur Livache cible les dispositifs périscolaires qui devraient remplacer bientôt les ex-dispositifs (CEL), ainsi que les Maisons des Jeunes et de la Culture. Institutionnaliser l’art contemporain en tant qu’entité créative dévolue à la paix sociale, revient à le déposer dans les mains de tous, c’est une noble intention. Les artistes seraient alors les interfaces socio culturels mis en place par le pouvoir pour faire face aux crises urbaines ? Et comme tout un chacun peut jouer ce rôle dans son microcosme, avec une telle identité, les artistes sont-ils encore utiles à la société d’aujourd’hui ? Question effrayante !

Que devient alors le rôle des artistes ? Quelle est leur identité spécifique ?
Si les animateurs socio culturels sont naturellement désignés par leur position dans les quartiers pour mener à bien une tâche sociale créative, sont-ils pour autant de libres créateurs ? N’est-ce pas cette notion d’indépendance, intrinsèque à la créativité, qui différencie aujourd’hui les artistes plasticiens des autres acteurs créateurs socioculturels ?

L’art contemporain comme exutoire de la violence urbaine ?
Des maisons de quartier, plaques tournantes, au centre de l’éducation à l’art contemporain et du même coup de la paix sociale ? Pourquoi pas ? mais entre autres !
L’art contemporain, entité créative, oui, mais compte tenu de la grande diversité des médias qu’il utilise, son influence s’exerce à tous les niveaux. Sorte de sérum de vérité, que ça plaise ou non, n’est-ce pas en cela que réside sa fonction thérapeutique quand il est question de pacifier ? L’art contemporain peut reconnaître et mettre en scène les réalités de tous, c’est une bonne base pour une « communication non violente », mais encore faut-il aller plus loin dans cette direction. La mise en image de la violence fascine ; est-il assuré pour autant qu’elle exorcise l’inconscient collectif ? Chaque artiste porte en lui un morceau de cette collectivité qu’il donne à voir ou à entendre, reste à savoir si la représentation de la violence tant prisée dans les jeux de l’arène ne transforme pas cet exorcisme en perversité. On peut reprocher aux artistes de se plier aux goûts de la main qui les nourrit, à la mode ou à l’actualité (et l’hémoglobine se vend bien). Je me garderai autant que possible de jugements sur les raisons des compromissions auxquelles sont contraints les artistes, car le manque de fonds en est une raison fondamentale. Avant que d’embarquer dans un art contemporain à vocation pacificatrice ne faut-il pas faire une reconnaissance encore plus pointue des rôles, des acteurs et de leur réalité respective ?
S’y risquer demande du temps, de la neutralité et un certain intérêt pour les causes perdues.

La médiation culturelle en partenariat vraiment équitable ?
Nous les artistes, sommes d’excellents faire-valoir et quand nous refusons de prendre en charge les aspects politiques ou financiers de notre profession, nous en portons en partie la responsabilité (voir l’article sur ce chapitre). Les intermédiaires intéressés ne manquent pas. Le charme qui manque au politique, c’est justement le nôtre, celui de la liberté et du désintéressement. Nous sommes donc souvent utilisés comme masque gracieux du pouvoir et de la finance. Untel, homme politique, met en avant ses réalisations culturelles pour dissimuler son museau de loup, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Est-ce là, la forme que revêt le nouveau mécénat ? Je ne veux porter de jugement ni sur les loups (que j’aime pour leur nature sauvage) ni sur les artistes, à chacun son lot et les uns feraient bien de prendre un peu de graine chez les autres (et vice et versa).

Des subventions attribuées au domaine socioculturel au nom de l’art et des artistes ?
Ma revendication se bornera à une identification précise des acteurs. Le socioculturel est une articulation, un rouage entre la société et l’art, il n’est pas l’art et ne devrait pas se proclamer juge et partie. Ma crainte est de voir les maigres subventions attribuées (quand encore elles le sont) à l’art se diriger vers des institutions en utilisant les artistes, ce qui risquerait d’avoir pour effet de réduire encore les moyens des artistes.

Musarde/23/02/2006

One Response to “Les artistes et la médiation culturelle”

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